Cologny, Fondation Martin Bodmer, Cod. Bodmer 902
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Ph.D. Nadine Béligand pour e-codices, 2013

Titre du manuscrit: Codex mexicain de Santa María Tepexoyucan
Origine: Santa María Tepexoyucan, Commune de San Martín Ocoyoacac, Etat de Mexico, Mexique
Période: Fin XVIIe siècle, avant 1715; des recoupements avec d’autres manuscrits nous indiquent qu’en 1715 le manuscrit a été présenté devant les juristes du tribunal de l’Audiencia de Mexico en vue de résoudre un conflit territorial. La description qui est faite du petit livre concorde avec le Codex (Mexico, Archivo General de la Nación, Tierras, vol. 1716, exp. 1).
Support: Papier d’amate (écorce de l’arbre amate) de fibres épaisses de couleur crème.
Volume: 20 folios, 19 folios recto verso et le folio 20 recto. Le folio 20v est dépourvu de texte.
Format: 26,5 x 23 cm
Type d'écritures et copistes: Caractères latins ; caractères scriptes, minuscules, à l’exception des Y écrits en majuscules (par les tlacuilos 1 et 3). Dans certains mots le « h » a valeur de « ch » ; par exemple dans mohyntin pour mochyntin, qui signifie « tous ». Il n’y a aucune séparation entre les mots. On constate la présence de trois tlacuilos (scribes et peintres indigènes) différents : le premier tlacuilo pour les feuillets 1r-5v (texte long en nahuatl) ; un second tlacuilo pour les folios 6r-17v (section pictographique accompagnée de textes en caractères latins) et un troisième scribe pour les ff. 18r-19v.
Le croquis, qui est glissé dans la pochette cuir et fait suite au Codex, a été peint et écrit par un quatrième tlacuilo. Pour ce qui est des pictographies, on note la présence de deux peintres : le premier pour les folios 6r-18v et le second pour le folio 19r. Le croquis (à part) a été peint par un autre dessinateur.
Décoration: Des pictographies sur les folios 6r à 19r et sur le croquis annexé (ff. 1v-2r). Représentations d’éléments du relief (cours d’eau, source, lagune, collines), de plantes (figuier de Barbarie, saule, zapote, ahuehuetl), d'animaux (aigle, cerfs, cheval), d'éléments architecturaux (maisons, églises) et de personnages.
Reliure: Cousu à la main sur les bords pour former un petit livre. Présenté dans une petite pochette de cuir fin de couleur marron foncé.
Langue principale: Nahuatl
Sommaire:
Un livre de terres (tlalamatl), livre du village (altepeamatl) relié, accompagné d’un croquis, à part, en deux feuillets dont la face intérieure (ff. 1v-2r) est peinte.
  • Le Codex : Les folios 1r-5v comportent un texte long écrit en nahuatl.
    • (f. 1r) ce folio est en grande partie détruit ; il en reste à peu près les deux tiers ; le texte est illisible car l’encre s’est effacée.
    • (f. 1v) comporte des bribes de texte sur onze lignes. Le texte explique que ce petit livre appartient à Tepexoyuca.
    • (f. 2r) Le folio 2r (11 lignes de texte) évoque les terres données par le premier vice-roi de Nouvelle-Espagne, Antonio de Mendoza, en 1534 (en fait, il a pris ses fonctions en 1535).
    • (f. 2v) (12 lignes de texte) explique que les topili (juges indigènes) don Esteban Axayacatl et don Miguel Achcue(tl) ont été à l’origine de la confection de ce livre de terres (tlalamatl).
    • (f. 3r) (11 lignes de texte) fait état des calpixque (collecteurs des tributs) du village. Le nom de la patronne du village, Santa María Asunción (Sainte Marie de l’Assomption) est désignée comme ilhuycac cihuapilli, « la dame du ciel ».
    • (f. 3v) (12 lignes de texte) évoque le tecpan, palais, soit, probablement, l’édifice où se réunit le cabildo (conseil municipal) indigène.
    • (f. 4r) (12 lignes de texte) évoque les terres destinées à la production du tribut.
    • (ff. 4v-5r) (respectivement 12 et 13 lignes de texte) évoquent les villages contigus à Santa María Tepexoyuca et la nécessité de préserver les terres pour le prélèvement du tribut.
    • (f. 5v) composé de 18 lignes : les 8 lignes du centre sont organisées sous la forme de deux colonnes parallèles: c’est là que se trouvent les signatures des autorités qui font ce codex. Parmi les signataires, deux tlayacanqui (« capitaines » ou « administrateurs ») : don Esteban Axayacatl et don Simón de Santa María ; le calpixque (collecteur des tributs) don Miguel Achcue ; le fiscal (gardien) de l’église : Juan de Aquino, et le tlacuilo (scribe) Gaspar de San Mateo.
  • La section pictographique :
    Correspond aux folios 6r-19r (le folio 19v ne comporte ni texte ni image)
    Les folios 6r-19r sont de nature mixte : ils combinent des pictographies avec des textes en caractères latins (en nahuatl)
    • (f. 6r) pictographies : trois arbres, une source. Le texte mentionne le lieu, Atlymealte[xco ?] comme limite de terres.
    • (f. 6v) pictographies : deux arbres (ahuehuetes) et une source. Le toponyme associé dans le texte est celui de Ahuehuetitlan.
    • (f. 7r) deux arbres et un bras de rivière. Le toponyme associé dans le texte est Atlinechicoayan
    • (f. 7v) deux personnages assis et un village composé de sept maisons. Les toponymes associés dans le texte sont Tototlalpan et Ixtlahuatl.
    • (f. 8r) neuf arbres (de type sapin) associés au toponyme Tlacopan.
    • (f. 8v) une petite lagune où se baignent des canards. Le toponyme associé est Atlinechicoayan (comme dans le folio 7r).
    • (f. 9r) une colline rocheuse surmontée d’un aigle. Le toponyme associé est Cuauhtli ynemian.
    • (f. 9v) deux arbres (ahuehuetes) dans un environnement rocailleux (rochers). Le toponyme associé est Tetlan.
    • (f. 10r) trois arbres et deux maisons, dont l’une est grande. Les toponymes associés sont Cosoquiapan et Tototlan.
    • (f. 10v) deux personnages, une église et deux agaves. Le toponyme associé est Santa Ana.
    • (f. 11r) trois agaves (ou arbustes iczotes) et deux collines. Le toponyme associé est Cuauhçoyac.
    • (f. 11v) quatre agaves (ou arbustes iczotes) et une rivière. Le toponyme associé est Amaxac[o].
    • (f. 12r) trois arbres et deux cerfs. Les toponymes associés sont Cuauhtenco et Cuautitlan.
    • (f. 12v) trois arbres et une source (ou petit lac). Le toponyme associé est Tetzihuapan.
    • (f. 13r) deux collines, chacune surmontée d’un arbre ; entre les deux coule une rivière. Le toponyme associé est Omeyotlan.
    • (f. 13v) trois arbres. Pas de toponyme associé.
    • (f. 14r) une colline sur un terrain rocheux, surmontée d’une croix. Sur les flancs de la colline, cinq arbres : trois à gauche et deux à droite. Le toponyme associé est Topoçayocan.
    • (f. 14v) un grand arbre (zapote) et une montagne éloignée (effet de perspective dans le dessin). Le toponyme associé est Tzapotlan.
    • (f. 15r) deux personnages debout ; celui de gauche tient dans la main droite un bâton de commandement qui indique que c’est un juge. Le texte donne son nom : don Salvador Tayatetzin.
    • (f. 15v) deux personnages assis et un arbre (à droite). Le texte indique les noms des deux personnages : don Bartolomé Tecçoçomatzin et don Martín de San Miguel.
    • (f. 16r) deux collines jumelles au loin (effet de perspective) et au premier plan une petite lagune. Le toponyme associé est Tlateochihuapan.
    • (f. 16v) un homme et une femme en position assise. Le toponyme associé est Texayacatl.
    • (f. 17r) au milieu du folio, en diagonale (depuis le haut à gauche jusqu’en bas à droite) : une rivière, et dans la partie inférieure gauche : un village composé d’une église et de trois maisons. Le toponyme associé est Atlahuytec.
    • (f. 17v) un personnage assis ; deux arbres (zapotes) et quatre maisons regroupées. Les toponymes associés sont Atlahuytec, Xochitlalpa, Tototlan.
    • (f. 18r) une colline. Sur son versant gauche : un figuier de Barbarie et un agave ; sur le versant droit, un agave. Les toponymes associés sont Nochtitlan, Tepetonco et Xocotitlan.
    • (f. 18v) pas d’image. Le texte évoque le toponyme Ixtlahuatl.
    • (f. 19r) un conquistador armé d’une épée et d’une bannière, monté sur un cheval. Le texte associé l’identifie comme Santiago.
  • Le croquis :
    Le croquis comporte deux feuillets ; les folios 1v-2r sont peints et comportent des textes devenus pratiquement illisibles.
    • (f. 1v) à gauche, une maison, un personnage en position debout qui tient un bâton de commandement dans la main droite (ce qui l’identifie comme juge). Sous le personnage, en diagonale, un chemin qui part de la partie inférieure gauche du feuillet jusqu’à la partie supérieure droite et se poursuit sur le folio 2r. Au-dessus du personnage est représenté un figuier de Barbarie. En haut à droite : le dessin d’une colline d’où partent trois chemins. Les chemins se poursuivent sur le f. 2r.
      Le texte associé au folio 1v est très difficile à déchiffrer. On peut toutefois lire, sur le chemin, en bas à gauche du feuillet, le toponyme Tepexoyuca. Au-dessus du personnage, est écrit le nom : Mel[chior] de San Miguel (personnage cité dans le folio 5v). Il pourrait s’agir d’une carte dont l’objectif est de défendre une propriété patrimoniale de don Melchior, personnage appartenant à la noblesse locale.
    • (f. 2r) en haut à gauche se poursuivent les trois chemins qui descendent de la montagne (à partir du folio 1v). Ces trois chemins débouchent sur une parcelle clairement délimitée, au centre de laquelle passe un chemin. A droite sont peintes trois maisons. Sur le chemin, il y a un texte indéchiffrable qui probablement indique la direction vers un autre village ; on lit seulement otli, « chemin ». Ainsi, le chemin partirait de Tepexoyuca (f. 1v), peut-être en direction de Ocoyoacac (f. 2r). Ces éléments donnent une indication pour situer l’endroit où se trouve la parcelle (sans doute réclamée) par don Melchior de San Miguel.
  • Type de manuscrit : Ce Codex mexicain est un manuscrit indigène qui fait partie du groupe de Codex désignés sous le nom de Codex Techialoyan (Barlow 1943, 1945, 1946 ; Robertson 1975 ; Galarza 1980). Il provient de Santa María de la Asunción Tepexoyuca, près du village de San Martín Ocoyoacac, situé dans la Vallée de Toluca, Etat de Mexico, Mexique.
  • Contexte historique: Les villages limitrophes que sont San Martín Ocoyoacac, San Pedro Atlapulco et San Antonio Huixquilucan réalisèrent aussi leurs propres livres de terres (Codex Techialoyan 733, 726 et 724 respectivement). Le Codex Techialoyan 733 est un petit livre de terres ; c’est le Manuscripta Americana 7 de la Staatsbibliothek Preußischer Kulturbesitz de Berlin. Le Codex de San Pedro Atlapulco est une carte (74 x 94 cm); c’est le Ms N° 41.1249 du Brooklyn Museum de New York (voir Robertson, 1975 : 273-274 et 275-276) et le Codex de San Antonio Huixquilucan est un petit livre de terres conservé au Peabody Museum de la Harvard University (Harvey, 1993). Dans les Codex d’Ocoyoacac, Tepexoyuca est mentionné comme un village limitrophe et dans celui de Huixquilucan de nombreux toponymes coïncident avec ceux de Tepexoyucan. Il est fort probable que les quatre Codex (Tepexoyuca, Ocoyoacac, Atlapulco et Huixquilucan) ont été confectionnés en même temps en vue d’établir des limites territoriales consensuelles (Béligand 2005).
  • Datation : La datation de ces manuscrits pose de nombreux problèmes. Il est fort probable que les changements politiques survenus à la fin du XVIIe siècle expliquent leur confection (Béligand 1993, 2007). En effet, entre les années 1643 et 1684, certains villages de cette région ont obtenu une autonomie de gouvernement grâce à la validation, par les autorités de Nouvelle-Espagne, de leur statut de cabecera (chef-lieu, république indienne). Ces reconfigurations ont obligé les nouveaux gouvernements indigènes (cabildos) ainsi créés à délimiter leurs territoires, lesquels ne relevaient auparavant que de la juridiction de leur cabecera. En 1600, dans une description de la paroisse d’Ocoyoacac, Tepexoyuca apparaît sous le nom de San Jerónimo Tepexoyuca, avec ses quatre quartiers : Santa María Asunción, Los Reyes, San Sebastián et Coapanoaya. Autrement dit, le Codex de Santa María Tepexoyuca serait issu d’un ancien quartier d’un village sujet d’Ocoyoacac. Une analyse du contexte de production du Codex de Santa María Tepezoyuca devra nécessairement prendre en compte les manuscrits des villages limitrophes, leur insertion dans l’histoire foncière des villages indigènes (du milieu du XVIIe siècle jusqu’au premier XVIIIe siècle), ainsi que la question des héritiers de Moctezuma qui ont réclamé la perception des tributs sur des villages de la région, entre 1643 et 1688. En effet, en 1551, les héritiers d’Isabel de Moctezuma (décédée en 1551) ont obtenu (au titre de la concession faite par l’empereur Charles V à la famille impériale aztèque) la perception à perpétuité des tributs de Tacuba et ses sujets. Parmi ceux-ci se trouvent les villages de Ocelotepec, Ocoyoacac, Capuluac, Cuapanoaya et Tepexoyuca qui, à la fin du XVe siècle (avant la conquête espagnole) étaient tous des sujets de Tacuba.
Origine du manuscrit: Santa María Tepexoyucan, Municipe de Ocoyoacac, Etat de Mexico, Mexique
Provenance du manuscrit: Fondation Martin Bodmer manuscrit CB 902
Acquisition du manuscrit: Martin Bodmer. Collections antérieures : Alfred Stendahl, Los Angeles ; Jacob Zeitlin, Los Angeles et Warren Howell, San Francisco (Robertson, 1975).
Copie
  • Au moins deux copies du Codex ont été réalisées par des paléographes traducteurs de l'AGN (Archivo General de la Nación) de Mexico, en 1867 puis en 1871 ; elles furent remises aux Indiens de Santa María de la Asunción Tepexoyuca et San Jerónimo Acazulco qui les ont probablement conservées jusqu'à nos jours. C'est peut-être à cette occasion que le Codex est resté dans les Archives Nationales de Mexico avant d'avoir été vendu à Earl L. Stendahl (né en 1888) qui a transmis sa collection à son fils Alfred Stendhal (né en 1915).
Publication
  • Copie : John Howell, Books, 1961, n° 14 : reproduit les folios 10v et 11r.
  • Musée National d’Anthropologie (Mexico) : Faustino Galicia Chimalpopoca, Documentos Históricos, doc. 23 (ff. 289r-300r) : reproduit une copie des ff. 6r, 10v, 13v-14r.
Literatur
  • Bankmann, Ulf, „Das Orstbuch von San Martín Ocoyoacac, Mexico“, Indiana, Berlin, 1974, N° 2, p. 133-182.
  • Barlow, Robert H., “The Techialoyan Codices : Codex H”, Tlalocan, Sacramento, 1943, pp. 161-162 ; “Los caciques precortesianos de Tlatelolco en el Códice García Granados (Techialoyan Q)”, Tlatelolco a través de los tiempos, México, 1945, núm. 6, p. 31-43 ; “El reverso del Códice García Granados”, Tlatelolco a través de los tiempos, México, 1946, núm. 8, p. 33-48.
  • Béligand, Nadine, Códice de San Antonio Techialoyan A 701. Manuscrito Pictográfico de San Antonio la Isla, Estado de México, Instituto Mexiquense de Cultura y Gobierno del Estado de México, 1993 [avec un fac similé de l’original]
  • Béligand, Nadine, « L’agrimenseur, le juge et le roi : mesure et appropriation de l’espace en Nouvelle-Espagne », in Charlotte de Castelnau-L’Estoile et François Regourd (dir.), Connaissances et pouvoirs. Les espaces impériaux (XVIe-XVIIIe s.), France, Espagne, Portugal, Presses Universitaires de Bordeaux, 2005, p. 101-125.
  • Béligand, Nadine, « L’éviction des ‘étrangers’ par le lignage, la légitimité et le mérite. La production historique des caciques immémoriaux de la Vallée de Toluca, Mexique central (XVIIe–XVIIIe siècle) », in Pierre Ragon (dir.), Les Généalogies imaginaires. Ancêtres, lignages et communautés idéales (XVIe-XXe siècle), Publications des Universités de Rouen et du Havre, Mont-Saint-Aignan, 2007, p. 49-82.
  • Galarza, Joaquín, Le Codex de Zempoala, Techialoyan E 705. Manuscrit Pictographique de Zempoala, Hidalgo, Mexique, Mission Archéologique et Ethnologique Française au Mexique, Collection Études Mésoaméricaines, 1980.
  • Harvey, Herbert R., Códice Techialoyan de Huixquilucan (Estado de México). Estudio introductorio de Herbert R. Harvey, Toluca, Gobierno del Estado de México y El Colegio Mexiquense, 1993.
  • Robertson, Donald et Martha Barton Robertson, “Techialoyan Manuscripts and Paintings, with a Catalog”, Handbook of Middle American Indians, Austin, University of Texas Press, vol. 14, Part III, 1975, pp. 253-280.